Télé-merdicité

Tout a commencé en 1973 aux Etats-Unis (berceau universel de la merde médiatique) avec l'émission An American Family qui retraçait l'histoire d'un divorce en douze épisodes. On voit que, déjà, le voyeurisme était bien intégré dans la société. Plus tard, en 1989, une équipe de tournage suivra des policiers dans leur croisade contre le crime pour l'émission COPS. Concept qui a très bien fonctionné puisque, encore aujourd'hui, des épisodes sont diffusés en France et aux Etats-Unis.

En France justement on ne sera pas en reste puisque apparaît l'émission Perdu de vue qui tente de retrouver des personnes qui se sont évaporées dans la nature, la plupart par choix. Les scènes finales donnent à voir des retrouvailles sanglotantes dont le but avéré est de faire pleurer dans les chaumières. Et ça marche puisque ça va marquer le début de la télé-réalité en France.

Mais l'avènement, en 1999, de l'émission Big Brother, va bouleverser les codes plutôt simplets de ce type de divertissement, l'orienter vers un voyeurisme total et non plus de situation, puisqu'il donnera à voir douze célibataires enfermés pendant plusieurs semaines sous l'œil de dizaines de caméras. Cette émission sera importée en France sous le nom de Loft Story et permettra de faire connaître les talents de natation de Loana et son interprétation très personnelle des flotteurs.

Connaissez-vous meilleure illustration de l'expression imbécile heureux ?

On assistera dans cette saison de Loft Story aux prémices de la télé-réalité made in France avec tout ce qu'elle a de plus absurde et de plus ridicule. Bien entendu, avec de tels arguments, l'audience atteint des sommets avec 5 millions de téléspectateurs, les annonceurs se battent pour intégrer leurs pubs entre deux épisodes et les autres chaînes grincent des dents de ne pas avoir eu l'idée avant. La course à la daube est lancée, chaque grande chaîne (TF1 en tête) va y aller de son petit grumeau de merde pour pourrir les engrenages d'un PAF déjà bien entamé. Ce qui nous donne :

• Loft Story. Douze célibataires physiquement attractifs enfermés dans un appartement et filmés jour et nuit. Le but pour eux sera de se faire remarquer des téléspectateurs par toutes sortes de conneries afin que l'on vote pour eux et qu'ils puissent ainsi poursuivre « l'aventure ». Diffusé sur M6 et présenté par Benjamin Castaldi.

• Star Academy. De jeunes gens sont intégrés dans une simili-école, après une série de castings pitoyables et parfois humiliants, où ils vont suivre des cours de chant, danse, théâtre etc afin d'essayer de trouver une utilité à leur existence. Présenté par Nikos Aliagas sur TF1.

• Nice people. Douze jeunes gens de différentes origines mais européens (faut pas déconner, on va pas prendre des mexicains non plus) sont enfermés ensemble dans une maison sous l'œil de dizaines de caméras (non mais l'imagination qu'ils ont, c'est fou) et devront se faire apprécier ou, à défaut, remarquer des téléspectateurs pour qu'on les laisse en cage (même au zoo, les animaux ont le bon sens et la dignité de ronger leurs barreaux). Présenté par Flavie Flament et Arthur pour TF1.

• Koh Lanta. Quatorze à vingt personnes sont lâchées sur une île déserte avec un peu de riz et doivent former des équipes et se démerder pour survivre. Le tout en participant à des épreuves aux intérêts obscurs comme tenir le plus longtemps debout, sur un poteau, planté dans la mer dans le but de gagner une soirée avec leur famille ou un repas chaud, qu'ils auraient eu de toute façon s'ils ne s'étaient pas inscrit à cette émission. Présenté par Hubert Auriol et Denis Brogniar sur TF1 toujours.

• L'île de la tentation. Quatre couples testent leur fidélité en allant se perdre sur une île habitée par de beaux éphèbes et de superbes naïades, dans un cadre idyllique et, bien sûr, sous l'œil des caméras. On assiste alors à des scènes du genre « Raah le salaud, il m'a trompé avec Elisa alors que je lui faisais confiance. Puisque c'est ça je vais aller me consoler avec Francesco, ce bel étalon aux mains de velours et au pectoraux d'acier », « La connasse ! Elle m'a trompé avec Francesco, puisque c'est ça je vais aller voir Laetitia, la danseuse topless et lui demander de faire du pole-dance sur ma barre » etc. Et pendant ce temps, le présentateur justifie son salaire en leur demandant ce qu'ils ressentent exactement et, curieusement, ce n'est jamais de l'humiliation de participer à une émission aussi racoleuse mais plutôt la trahison. Ben oui, quand on est trahi, ben on se sens trahi. Voilà voilà. Bien sûr, cette merveille est diffusée sur … TF1.

Et bien d'autres émissions encore qui, par leurs seules existences, justifient la peine de mort, la torture gratuite et le supplice de la roue. Mais la télé-réalité ne saurait s'arrêter à un seul concept, aussi merdique soit-il et, voyant que le principe des gens enfermés ensemble et qui passent leur temps à gueuler et baiser comme des porcs ne fait plus l'unanimité, nos chers visionnaires du PAF vont nous pondre de nouvelles idées révolutionnaires dans lesquelles on retrouve pêle-mêle Confessions Intimes où les comportements proprement navrants de certaines personnes qui ne savent plus quoi faire pour se faire remarquer sont analysés par un psychologue (lui il doit avoir des trucs à raconter quand il rentre du travail), Pimp my ride où le jeu consiste à rendre un véhicule le plus moche possible (probablement pour feinter les voleurs), D&Co, émission dont le but est de redécorer une maison en utilisant toutes les gammes de couleurs de Photoshop ou encore, ma préférée, C'est du propre dans laquelle on se farci deux femmes qui font le ménage, pendant 45 minutes. Et ça fonctionne ! Les gens regardent et vont même jusqu'à noter les astuces (aah, les joies de faire les carreaux avec du papier journal).

Et comment parler de télé-réalité sans mentionner son fruit le plus mûr, sa création la plus aboutie : le Mickaël Vendetta. Probablement le seul à avoir su tirer pleinement parti de ce nouveau mode de divertissement, il a su se présenter en tant que personnalité que les français adoreront détester. Doué d'un admirable égocentrisme, d'une assurance à toute épreuve et d'une présence à l'écran remarquable il a marqué les esprits et choqué les bonnes mères de famille. Bref, tout ce que l'on demande à un bon candidat de télé-réalité. Malheureusement pour lui, la mémoire collective est courte et sélective, on se souviendra donc toujours de lui comme d'un petit con qui se la pète. Je sais pas si ça valait vraiment le coup, mais en tout cas ça aura eu le mérite de faire rire ceux qui suivaient ça de loin.

Le fait de s'intéresser à la télé-réalité n'est pas sans risques puisque ça m'a amené à penser à un autre type de divertissement très proche, les jeux télévisés. Le principe est assez simple et ne varie jamais. Le candidat est reçu sur un plateau télé et amené à répondre à des questions diverses et variées ou à tenter sa chance à un jeu de hasard ou encore à participer à une épreuve physique dans le but de gagner de l'argent et/ou des objets. On y retrouve Attention à la marche, Le Maillon Faible, La Roue de la Fortune, Le Juste Prix etc. Les candidats sont des gens comme vous et moi (plutôt comme vous en fait), qui s'inscrivent puis qui vont allumer un cierge à Lourdes en espérant très fort pouvoir participer et avoir l'opportunité de se ridiculiser devant des milliers de personnes. Si, par bonheur, l'aspirant candidat est choisi, il est invité à aller rejoindre le présentateur sur le plateau pour répondre à des questions consternantes telles que « où habitez-vous ? », « que faites-vous dans la vie ? », « quelle est votre passion ? » qui appellent forcément des réponses consternantes « Je m'appelle Jeannine, j'habite en Meurthe-et-Moselle, j'ai trois enfants que j'aime et ma passion c'est le jardinage ». On est donc sur du divertissement très très soft, vous l'aurez compris. Bon, allez les enfants, maintenant on va s'énerver un petit peu parce que c'est pas qu'on se fait chier mais on s'éclate pas comme des bêtes non plus. Là, le présentateur (que nous nommerons Christophe D.) et Jeannine s'approchent de la roue à tourner/la boîte à choisir/la question à poser (rayer les mentions inutiles) et le suspense ne montant pas suffisamment vite au goût de Christophe les questions reprennent « ça va aller Jeannine ? », « vous vous sentez prête ? », « faites attention, il y a beaucoup d'argent en jeu là ». Pendant qu'on envoie les équipes de secours dans les rang secourir les spectateurs qui ont tourné de l'œil à cause de l'angoisse, Jeannine se décide à tourner sa roue/choisir sa boîte/ répondre à la question. Si le résultat est positif, oh joie, madame se met à sautiller sur place comme une groupie à un concert de Tokio Hotel et si le résultat est négatif, rassurez-vous, les penseurs de la chaîne ont décidés que le jeu pouvait continuer de toute façon. Au final, pas moyen d'y échapper, t'as signé, c'est pour en chier.

Viens jouer avec moi !

Les questions/roues/boîtes/épreuves vont s'enchaîner ainsi jusqu'à ce que le maître de cérémonie décide, dans sa grande bonté de laisser tout le monde rentrer chez lui et retourner qui graisser son déambulateur, qui ajuster son nouveau dentier, en bref, les occupations préférées des téléspectateurs de ce genre de divertissement. Le/la gagnante retournera chez lui couvert de ridicule, certes mais aussi de cadeaux (micro-onde, four, scooter, billet pour une croisière sur le Costa Concordia) et se souviendra amoureusement de ce passage éclair sous les feux de la rampe jusqu'à elle se rende compte que le fond de teint appliqué généreusement ne fait pas bon ménage avec les éclairages télévisuels (allez, on t'en veut pas va, d'autres se sont fait avoir avant toi).

On ne le dira jamais assez, la télévision rend con, mais elle n'est que le reflet de ce que nous voulons, de ce que la majorité demande à voir. Il n'y aurai pas d'offre sans demande. Le problème c'est que maintenant, pour chaque demande, même extrême, il y a une offre.