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Otarie club
1 avril 2012

Les merveilles

Roman ayant rencontré un franc succès, Les Merveilles de Claire Castillon s'est retrouvé, par un curieux phénomène impliquant l'absorption de drogues dures et l'abandon de tout esprit critique, dans mes mains. Que dire à propos de cet ouvrage ? D'abord la couverture, qui montre deux chiens, dans un port, avec un grand bateau en arrière plan. On verra au fil de ces lignes que, si il est effectivement question d'un chien dans l'histoire, il n'y aura point de bateau, ni même de port, ni quoi que ce soit qui ai un rapport avec la mer, l'océan ou un quelconque plan d'eau. Il semblerai donc que la maison d'édition ai pris la première photo de chien libre de droit qu'elle ai trouvé. Ça commence fort. La quatrième de couverture présente brièvement l'héroïne, jeune femme dérangée qui cache à son mari sa situation d'escort-girl. Le résumé se termine par la phrase « C'est une histoire qui finit mal. ». Voilà, lecteur avide de suspense, tu sais déjà comment ça fini, avant même d'avoir entamé la lecture. C'est vrai que la plupart des gens choisissent un bouquin en fonction de la fin. Moi-même, quand je trouve un livre qui me plait, je lis les 10 dernières pages avant de l'acheter, histoire de savoir à quoi m'en tenir. Si il est vrai que ça gâche un peu l'intrigue des Agatha Christie, cela me permet d'abolir toute surprise de mes lectures, chose qui risquerait de rendre les livres intéressants. Bref, le décor est planté, une prostituée folle et une histoire qui finit mal. Huuum … à vue de nez, je dirai que ça se termine en suicide ou en meurtre d'un client, mais je peux me tromper, hein !

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Bon, attaquons la lecture.

Evelyne, jeune adolescente tout ce qu'il y a de plus normal, nous présente sa famille et sa vie. Sa mère travaille dans un magasin de bricolage, bien qu'elle n'y connaisse rien, et son père est représentant en vernis et parcours le pays pour vanter les mérites de Vernisseau, le meilleur des vernis (sic) ! La famille possède un jeune chien, affublé du doux nom de Lulu. Jusque là, rien de bien exceptionnel, me direz-vous, mais accrochez vous, ça va virer au gore sans prévenir.

Un 1er mai, le père de Evelyne rentre d'un de ses déplacements et se fait engueuler par les voisins parce que le chien n'arrête pas de gueuler. Pris de folie, il va attacher le chien à la boule d'attelage de la voiture et le trainer sur plusieurs centaines de mètres sur le bitume. Vous étiez prévenus, hein. Lulu qui, par on ne sait quel miracle, est encore en vie, est gravement écorché et a perdu une patte dans l'aventure. Ce tragique incident va marquer un tournant dans la vie de la petite Evelyne et entrainer l'effondrement de sa santé mentale. A partir de là, la narration va devenir très hachée, reflet de la folie qui se propage sous le crâne de l'adolescente. Si l'on peut lui reconnaître un certain réalisme, il faut avouer que le récit en devient plus obscur et complexe, tant se mettre dans la peau d'un fou demande un certain effort pour la plupart d'entre nous. On rencontrera ainsi, en plein monologue intérieur, des passages tels que celui-ci :

« C'est le tournevis dans le cœur quand ça me remonte, c'est la vrille, et mes milliards de cloches qui me défont le cerveau. Je me fous que le milliard de voix recommence à gueuler dans ma tête mais j'aime bien quand je reprends ma voix beige rosé d'avant, ça fait des vacances entre deux orchestres. L'orchestre tout le temps, je sais pas ce que ça va donner dans la vie, l'ambivalence, oui, non, les deux dans la même seconde, la sinusoïde, ... ».

Et bien d'autres aperçus du bordel qui s'agite sous les cheveux de l'ado et qui rendent la lecture désagréable et irréelle tant des termes comme ambivalence et sinusoïde ne se retrouvent pas tous les jours dans la bouche des jeunes de 12 ans. Ça reste quand même embêtant si, en lisant les pensées de quelqu'un, on est incapable de s'y projeter, m'enfin, j'en sais pas grand chose, je suis pas un écrivain encensé par la critique, moi.

On retrouve Evelyne plus loin, qui nous explique les problèmes sexuels de ses parents car, comme dans beaucoup de couples, passé un certain temps, madame ne veut plus. Sa mère, qui surnomme son vagin, son rond, a connu moult problèmes physiques et psychiques qui l'ont dégoutée de la baise, chose qui est devenu un problème familial quand monsieur a eu une aventure avec un rond mineur (amusant, on dirait une note de musique : ron ré mi fa sol la... Bon, on se concentre). Quand je dis familial, c'est que même les oncles s'en mêlent, autant vous dire qu'il doit y avoir de l'ambiance à Noël, mais passons.

Plus tard, Evelyne, qui a colonisé le cagibi pour s'en faire une chambre afin de s'éloigner au maximum de son père (très symbolique tout ça), nous raconte comment elle en est arrivée à frapper sa mère avec un marteau en lieu et place de son géniteur. Parce qu'elle lui parlait d'organiser une fête d'anniversaire pour sa chère et tendre fille, qu'elle lui proposait un millefeuille et autres attentions charmantes. Tant de bonté a rendu Evelyne folle, elle a attrapé un marteau et frappé sa mère, la paralysant sur tout un côté. Voilà pour ce qui est de prouver la folie galopante de la demoiselle. Ça, s'est fait. Du moins, je crois que c'est ce qu'a pensé l'auteur en introduisant ce passage très bref et pas vraiment à l'image des ressentiments de la petite vis à vis de sa mère, qu'elle méprise, elle et son rond fermé, mais qu'elle ne hait pas. On mettra ça sur le compte des voix qui sont décidément bien pratiques.

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Un nouveau concept de chi fu mi : rond, marteau, ciseaux. Ca va faire un carton.

La vie suit son cours dans la famille, on apprend que Evelyne a un petit frère, elle nous raconte son rituel du soir qu'elle semble respecter à la lettre et l'omniprésence de la frustration sexuelle de son père, petites choses sans importance au milieu de lourds fardeaux, voilà un bref résumé de la psychologie de la jeune fille telle qu'elle nous l'est racontée. Oui, c'est un peu le bordel mais en lisant le récit introspectif d'une dérangée, fallait s'y attendre. L'appétit sexuel de son père l'amènera à quitter sa femme pour une kinésithérapeute, dont il se séparera peu après, mais il ne reviendra pas dans le foyer et s'installera chez ses frères, les fameuses fouines qui se mêlaient de la sexualité du couple, des gens charmants.

La séparation donnera un regain d'énergie à sa mère, qui retrouvera sa féminité, mais le repos sera de courte durée puisque monsieur reviendra, sous les supplications de … Evelyne. Pourquoi ? Pourquoi vouloir que son père, qu'elle hait, dont la présence semble endeuiller la maison tant il y est détesté, qui a trainé son chien derrière une voiture, revienne ? Même dérangée, on pourrait s'attendre à ce qu'elle fuit cet homme comme la peste, puisqu'elle n'a pour lui aucun amour, filial ou pas. Mais non, elle l'encourage à revenir et à se réinstaller dans le train train quotidien de la maisonnée.

Comme on pouvait s'y attendre, la vie morose reprend son cours, sous le giron de son père. Evelyne connait des difficultés à l'école, montre certains penchants sadiques mais parvient à faire illusion. Elle propose, bénévolement, à une de leur voisine de garder sa fille attardée tous les mercredis, chose qui lui apprendra le self-control et la patience. Hormis ça, 5 pages remarquablement inintéressantes sur les réflexions que se fait l'ado vis à vis de la bêtise. Perso, j'appelle ça du remplissage.

Un soir, son père reçoit un de ses collègues, Joe Vandaire et sa femme, Marie-Noëlle. Mère et fille sont subjuguées à l'extrême par ce couple. La première par Joe Vandaire et sa tranquille assurance de mâle dominant, l'autre par Marie-Noëlle et son goût sûr en matière de mode. L'adulation que porte la mère de famille à son homologue est impressionnante, elle applique à la lettre tous les conseils que celle-ci lui a prodigué, s'habille comme elle et répète à qui veut l'entendre tout le bien qu'elle pense d'elle. Une bien belle caricature pour monter qu'elle est hautement influençable. Sa fille, elle, tombe rapidement amoureuse de Joe, à tel point qu'elle souhaite la mort de sa femme pour pouvoir prendre sa place. A 13 ans. En voilà une qui ne doute de rien. Si tu savais ma petite …

Pour parvenir à ses fins, elle va lui faire croire qu'elle a 17 ans et s'arranger pour se retrouver en soirée avec lui, en suivant son père sur l'une de ses tournées régionales pour le boulot. Père qui est parti de son côté troncher une représentante en marbres. Oui j'utilise des mots crus, mais je ne fais que m'adapter à l'ambiance du texte. Les charmes de la gamine auront raison de Joe qui se la fait à l'hôtel, toujours persuadé qu'elle a 17 ans. A l'évidence, les implications pénales de ses actes ne l'effleurent même pas et il s'endort du sommeil du juste, pendant que Evelyne se tire, des étoiles plein les yeux et la moule. Voilà pour ce qui est de l'entrée de la petite sur le territoire du cul.

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Un peu de lecture, Joe ?

Au détour d'une conversation téléphonique entre son père et Joe, ce dernier apprend qu'elle a en fait 13 ans. Traumatisé par cette nouvelle, il menace de mort Evelyne pour qu'elle la ferme. La môme, qui n'est pas la dernière des déconneuses, lui annonce qu'elle est enceinte. Le désarroi qu'elle lit sur son visage la remplit de joie, lui procure plus de plaisir que le sexe lui-même et lui donne à dire que, dorénavant, ce serait sa façon d'aimer. Faire du mal. Merveilleux.

La vie continue pour Evelyne, elle entre au lycée mais s'en fait virer parce que niveau connaissances elle est un peu légère mais surtout parce que ses jambes le sont plus encore (légères, suivez un peu). En manque d'argent, avec son père de plus en plus rapiat pour les médicaments du chien, elle se fait embaucher dans un club de strip-tease où elle découvre la facilité pour une fille pas trop pudique de se faire du pognon. Malheureusement, peu après, Lulu meurt. Complètement ravagée, Evelyne quitte la maison familiale pour aller vivre sa vie et rencontre celui qui deviendra son mari, Luiggi, pizzaiolo de son état. Luiggi, qui refuse qu'elle fasse des strip-teases et qui préfère la voir faire des ménages au Macdo et avec qui elle aura rapidement un enfant, Ophélie. Je vous rassure, dans le bouquin aussi ça passe en accéléré. Elle quitte la maison, pifpafpouf boulot, mari, enfant. Brrr, heureusement que c'est pas comme ça dans la réalité.

Peu après son accouchement, notre héroïne se fait engager comme escort-girl, bien qu'elle raconte à Luiggi qu'elle bosse à l'usine (ce n'est qu'un demi-mensonge quand on y pense, si ce n'est que c'est pas des produits qui passent à la file mais des clients). Ses passes s'enchainent, jours après jours, dans une routine immuable. Étonnament, la gamine qui pétait un câble pour un oui ou pour un non, la semi-psychotique qui a battu sa mère avec un marteau fait preuve d'une forte empathie envers ses clients, disant qu'il ne faut pas leur en vouloir de leurs travers, que c'est indépendant de leur volonté, etc. Alors, je ne connais pas grand chose à la folie hein, mais j'aurais tendance à penser qu'une prostituée instable et avec un lourd passé de violence se dégouterait rapidement des hommes dans un tel milieu, mais non. Au contraire elle les comprend. Booon, ok, admettons. On a ainsi droit à quelques anecdotes de passes, pas vraiment croustillantes mais au moins intéressantes que je ne vous raconterais pas parce que c'est pas mon but que de plagier le livre, je critique, c'est pas pareil. Dans tous les cas, elle montre une tolérance incroyable à toutes les saloperies dont se déchargent les hommes avec elle. Un ange, on vous dit. Mais un ange qui se rend petit à petit compte combien son homme est limité intellectuellement et qui regarde vers de nouveaux horizons. Nouveaux horizons qui se matérialisent en la personne de Daniel, un de ses clients, jeune cerveau au chômage mais toujours en quête d'inventions géniales. Une mine de connaissances qu'il lui rabâche toute la journée et auquel elle trouve un charme indéniable. Elle est d'ailleurs bien la seule puisque cet homme est le stéréotype même du M. Je-Sais-Tout qui raffole du son de sa voix.

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Daniel, dans toute sa splendeur ... Oui, ça fait rêver.

L'intelligence de son client le rend si irrésistible à ses yeux qu'elle accepte de le voir gratuitement. Une routine s'installe entre eux deux, il fait le chauffeur et l'amène aux quatre coins de la ville pour ses passes, puis elle s'envoie en l'air avec lui entre deux clients. Oui, oui, pas de repos pour les braves, elle doit faire au moins trois ou quatre clients par jour, elle a un mari qui l'attend à la maison et qui doit avoir aussi quelques envies, et par dessus ça, elle prend un amant. Hé bé, elle a la santé la petite.

La proximité de cet homme, si cultivé, si intelligent, lui fait ressentir toute la misère intellectuelle qui règne dans son foyer, avec un mari légèrement bovin et une gamine pas très fut-fut. Alors les rendez-vous se succèdent, apportant dans sa vie la lumière et l'érudition qui, jusqu'ici, lui manquaient. Le fait qu'elle ne comprenne pas tout ce qu'il lui dit ne semble être en rien un obstacle, elle n'imagine pas un instant qu'il puisse la mener en bateau avec des théories vaseuses, elle boit ses paroles comme un bédouin s'abreuve auprès d'une oasis tant attendue. C'est beau … et incroyablement long. L'auteur répète maintes fois combien son héroïne est amoureuse, combien elle admire cet homme qui radote tout ce qu'il peut et combien elle est heureuse avec lui. Un petit intermède se profile quand on apprend que sa fille a eu des vers. Cet événement, certes pas très ragoûtant mais on a déjà vu pire, va la dégoûter de Ophélie, elle l'empêchera de s'assoir pour ne pas qu'elle se frotte les fesses sur une chaise et s'engueulera avec son mari pour ça. Je ne préfère pas imaginer comment cette mère exemplaire aurait réagi si sa fille lui avait ramené des poux. Probablement l'aurait-elle empêché de rentrer dans la maison. Fort heureusement ce n'est pas arrivé et la gamine est juste privée de chaise. Ouf.

Peu après, alors que sa vie commence à se barrer gentiment en couille cacahouète, notre prostituée préférée réalise que son cher amant, certes très instruit, est un imbécile qui lui parle sur un ton condescendant, la rabaisse et surtout, veut quitter sa copine pour elle. Mais, guère tentée de passer ses vieux jours avec un prof sénile, radoteur et au chômage (tout pour plaire), elle cherche un moyen de revenir sur sa promesse qu'elle lui avait faite un jour de folie de quitter Luiggi pour s'installer avec lui. Pendant ce temps, Daniel se fait plus insistant, plus présent, elle en arrive doucement à le détester, lui, sa bite, ses connaissances et ses monologues savants. Tout ce qu'elle aimait chez lui se transforme en haine pure, d'autant plus qu'elle s'est rabibochée avec Luiggi et que son couple est reparti comme sur des roulettes. Raah, ces femmes, de vraies girouettes …

La mort de son père survient pendant cette période là, elle retourne à la maison familiale pour les obsèques accompagnée de Luiggi et de sa fille, qui ont retrouvé une intelligence tout à fait banale, merci de le demander (dieu qu'elle est versatile !). Un coup de téléphone de Daniel va marquer la rupture entre eux tant il se désintéresse totalement de la mort du père d'Evelyne pour parler de lui, lui et re-lui.

Elle décide donc, après son retour, de lui donner rendez-vous sur un parking pour rompre. Bien entendu, le bougre ne se fait pas avoir et fait ce qu'il sait faire de mieux, la saouler de paroles sans même s'arrêter pour reprendre son souffle. Et c'est là que Evelyne, à bout de nerfs, toute empathie, tous sentiments envolés, va commettre l'irréparable … Elle le tue d'un coup de couteau dans la nuque.

Fin.

Le soulagement est tel que les larmes me montent aux yeux. Je n'aurai jamais cru avoir la force de venir à bout des quelques 237 pages que compte ce monument à la gloire de l'introspection autiste. Entre les phrases hachées, les grandes considérations pour des détails mineurs (oui, détails ET mineurs, ça fait vraiment très petit mais c'est le but), l'illogisme de l'héroïne qui s'en prend à sa mère qui ne lui a rien fait mais qui n'en veut pas aux hommes qui la tronchent à longueur de journée, les changements d'avis répétés et les oublis, je n'imaginais pas revenir indemne de ce voyage intérieur dans la psychologie supposée d'une personne dérangée. Mais les faits sont là, attestant qu'il est possible d'y survivre. Bon courage à vous, lecteurs, qui vous aventurerez sur ces chemins de la perdition.

Pour rappel, quelques critiques qui m'ont encouragé à acheter ce livre :

L'express , le 19 janvier 2012

Pour son onzième roman, Claire Castillon détruit joyeusement les codes et les cadres. Jubilatoire.

Le Monde , le 06 janvier 2012

Ces confessions sont bouleversantes. Ajoutons encore qu'elles sont souvent douloureusement drôles. La merveille, c'est qu'on y croit !

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