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Otarie club
8 avril 2012

Vers et autres nuisibles ancestraux

Il est de ces formes d'expression que tout le monde envie

Je veux bien sûr parler de la poésie

Langage obscur et complexe au premier abord

Mais qui dévoile vite ses formes faites de plaqué or

Vulgaire métal sous l'habit de précieux atours

L'illusion est belle, elle vaut le détour

Fausse difficulté sur décevante réalité

C'est ainsi que la poudre, aux yeux nous est jetée.


La poésie, sujet complexe de part sa diversité, ne cesse de faire des émules. Apparue dans l'Antiquité, le but premier de cette forme d'expression est sa mémorisation facile grâce au rythme qui lui est donné par les rimes et les vers. Elle est donc la cousine de la musique qui, à son instar, privilégie la forme au fond, ce qui crée des propos parfois hasardeux tant il est difficile de faire rimer certains mots de notre époque. Vous ne me croyez pas ? Ok, alors « Natixis ». Vous avez 40 secondes. Ah bah oui, faut être réactif.

Elle se présente sous plusieurs formes, du poème pur et dur du XVIème siècle qui a traversé les âges porté par l'illusion du plus grand nombre, au haïku japonais dont la concision ferait pleurer des larmes de joie au créateur de Twitter, en passant par le slam qui est le moyen d'expression privilégié des grandes personnes malades. Ses formes ont évoluées au fil du temps et, rendue malléable par quelques esprits égarés, elle s'est ouverte au plus grand nombre. Depuis, les aspirants poètes pullulent, sur Internet et ailleurs, dans le but d'exorciser des plaies béantes de leur mal-être les encombrants sentiments qui les accablent. Et c'est ainsi que l'on peut savourer les essais calamiteux de certains qui, faute de compétences orthographiques, arrivent à matraquer en même temps la poésie et la langue française. Bien sûr, ce ne seront pas ceux-ci que nous étudierons ici, ce serait comme s'attaquer à des chatons à la sulfateuse, mais nous nous intéresserons à des classiques de grands noms de la poésie.

La beauté de Charles Baudelaire :

Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.
Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris ;
J'unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.
Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d'austères études ;
Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !

Bien, alors. La beauté est faite pour inspirer au poète un amour muet. On peut dire que c'est aussi rapé qu'une carotte de Bonduelle car si M. Baudelaire s'était tenu muet, nous n'en serions pas là. La comparaison de la beauté avec un sphinx incompris me choque un tantinet quand même, déjà parce que le sphinx est une créature mythologique fruit du croisement d'une femme, d'un lion et d'un oiseau et est donc relativement éloignée de la beauté humaine telle qu'elle est définie par les puristes (bien que les zoophiles puissent amèrement regretter l'inexistence d'une telle créature) et ensuite parce que la beauté est très liée à la personne qui la considère en tant que telle. Si elle n'est pas reconnue, ou, pour reprendre le vers, incomprise par l'observateur, elle n'existe pas à ses yeux. Mais c'est vrai que « incompris » rime bien avec « ris » alors on s'en fiche que ça veuille dire quelque chose ou non. Ah, la joie de faire passer la forme avant le fond …

Sur la même lignée, l'union que nous propose l'auteur du cœur de la neige avec la blancheur des cygnes me paraît un chouïa abstraite tant il est difficile de situer le cœur sur l'anatomie de la neige (de nombreux skieurs téméraires s'y sont essayés en s'immergeant sous des avalanches mais il semblerait que le résultat n'est pas été à la hauteur de leurs attentes). Et puis, le cygne étant un oiseau relativement frileux car migrateur, je doute que cette union soit consentante. Peut-être est-ce un moyen très détourné de dénoncer les mariages forcés ? Si oui, nous venons de tomber sur le seul poème engagé de Charles Baudelaire qu'il m'a été donné de lire.

Mais ce farceur de poète ne s'arrête pas là avec les phrases improbables et arrive à placer que la beauté hait le mouvement qui déplace les lignes. Sans doute fait-il référence au temps, pire ennemi du superficiel, qui creuse de profonds sillons dans les peaux matures ? Ou alors alerte-t-il l'opinion sur les dangers des tremblements de terre qui agitent les sismographes ? C'est tout le problème avec les écrits poétiques, tout y est sujet à interprétation, le message perd son sens en même temps qu'il gagne sa supposée musicalité. Et on se retrouve avec un texte tellement incompréhensible que certains en arrivent à le déifier, comme si le rendre inabordable le rendait supérieur (les programmeurs de Windows Phone ont d'ailleurs essayé cette approche, avec le succès que l'on connait).

De même, la phrase « et jamais je ne pleure et jamais je ne ris », particulièrement désagréable à lire ou à entendre, n'est tournée de cette manière que pour respecter le rythme du texte, au détriment de la logique, et, petite remarque insignifiante, elle ne veut rien dire. La beauté n'est qu'un concept, je ne vois pas comment une notion pourrait être capable de pleurs ou de rires. Mais je ne suis pas poète et mon âme n'est chargée que de bêtes pragmatismes alors qui suis-je pour critiquer pareil monument à la gloire des métaphores alambiquées ? Personne, on est d'accord, mais la liberté d'expression étant ce qu'elle est, nul ne peut s'opposer à ma parole. Mouahaha (rire diabolique) !

Là où l'auteur a vu juste, c'est dans les quelques vers qui suivent et qui disent que les poètes passeront leur temps à étudier la beauté (certes) mais, et c'est Charles Baudelaire qui l'écrit, je le rappelle, en vain. Comme quoi cet homme, bien que friand de tournures de phrases calamiteuses, avait un regard très lucide sur l'utilité de son travail : nulle. En voilà un homme de bon sens !

Mais le summum de ce poème réside dans ses trois derniers vers où il est dit que la fascination des poètes pour la beauté résidera dans ses yeux (non, pas de commentaires, ça devient lassant) aux clartés éternelles. Hé oui, la clarté des yeux, un phénomène relativement peu connu puisqu'une seule personne a souffert de cette pathologie récemment, un certain Cyclope, acteur de son état, qui a joué dans quelques films. Mais si, vous voyez qui c'est ...

cyclope

La clarté oculaire, pathologie qui s'accompagne automatiquement du tic dit du connard qui règle son oreillette au lieu de parler dans son téléphone comme tout le monde.

Cessons maintenant l'analyse de ce poème, car d'autres merveilles nous attendent par delà les atomes et le temps et retrouvons un autre poète, et non des moindres, puisqu'il s'agit de Victor Hugo.


Bêtise de la guerre


Ouvrière sans yeux, Pénélope imbécile,
Berceuse du chaos où le néant oscille,
Guerre, ô guerre occupée au choc des escadrons,
Toute pleine du bruit furieux des clairons,
Ô buveuse de sang, qui, farouche, flétrie,
Hideuse, entraîne l'homme en cette ivrognerie,
Nuée où le destin se déforme, où Dieu fuit,
Où flotte une clarté plus noire que la nuit,
Folle immense, de vent et de foudres armée,
A quoi sers-tu, géante, à quoi sers-tu, fumée,
Si tes écroulements reconstruisent le mal,
Si pour le bestial tu chasses l'animal,
Si tu ne sais, dans l'ombre où ton hasard se vautre,
Défaire un empereur que pour en faire un autre ?

Nous voilà donc avec un poème relativement engagé puisque critiquant la guerre. Le geste est beau tant les poètes préfèrent habituellement s'attaquer à des proies inoffensives (l'amour, la beauté, les fleurs, les saisons et toutes sortes de choses ne prêtant pas trop à controverse). Donc, la guerre nous est présentée sous le bien joli nom de Pénélope car, comme chacun le sait si c'est mal c'est forcément féminin (UNE épidémie, UNE tempête, UNE croisade, UNE machine … Les machines vont nous envahir, révisez vos classiques bon dieu ! Matrix, Terminator, ça ne vous dit rien ?). Donc Pénélope est une garce qui berce le chaos et là attention, il y a du lourd, où le néant oscille. Sachant que le chaos est une sorte de bordel (pas au sens maison close, hein), et que ce foutoir est constitué de matière (sinon il ne serait pas), je cherche encore comment le néant, qui lui ne contient rien, d'où son nom, pourrait y osciller. Non vraiment, même en faisant des efforts d'imagination énormes, je ne parvient pas à voir comment un univers parallèle (le néant) pourrait osciller sur le chaos, vraiment pas. Peut-être est-il posé en équilibre sur un chaos de pierre ? Raah nan, mon esprit n'est pas assez affuté pour percevoir toute la grandeur de cette phrase.

Et la suite n'est guère rassurante sur cet état de fait puisqu'on peut lire que la guerre est flétrie. Comment est-ce possible ? La notion de guerre serait racornie ? Même en partant du principe que c'est une métaphore, ça voudrait dire que la guerre va sur son déclin, ce qui invaliderait tout le poème qui est un vibrant appel à la paix. Pfff, non vraiment, je ne comprend pas. Des idées ?

Plus loin, l'auteur fait référence à une clarté plus noire que la nuit et là, le déclic. La poésie, c'est de faire des adjectifs qui contredisent leur sujet. Exemples : un café décaféiné, un mort vivant, de l'eau sèche, des œufs carrés, une ivresse sobre … Les possibilités sont infinies et nous ouvrent un boulevard vers la gloire et la reconnaissance éternelle à l'instar des quelques hommes et femmes qui ont traversé les siècles au travers de leurs poèmes, grâce à cette technique que nous baptiserons la « qualification contradictoire du sujet par un adjectif opposé » (ou QCSPAO pour les utilisateurs chevronnés).

article_zombie

Les morts vivants, l'inspiration idéale pour le poète en herbe.

L'auteur valide d'ailleurs cette hypothèse en faisant référence au hasard de la guerre, dont l'issue, justement, n'est pas trop dépendante du hasard mais plutôt des armées, des ordres donnés, de la météo et autant de choses qui sont facilement maitrisables, sauf pour la météo avec laquelle on a encore quelques menus problèmes (mais ça ne devrait plus durer longtemps).

En revanche Victor Hugo obtient une mention spéciale pour son vers « si pour le bestial tu chasses l'animal » qui est clair, concis et bien tourné. Probablement la célèbre exception qui confirme la règle, que beaucoup cherchent mais que peu ont eu le bonheur d'approcher. C'est bien le seul vers de ce texte qui m'inspire quelques envies pour la poésie, autant dire que c'est pas vraiment une réussite ...

Cessons ici la critique de cette œuvre sur une note positive et allons voir ce qu'il se passe du côté de chez Arthur Rimbaud.


Le buffet

C'est un large buffet sculpté ; le chêne sombre,
Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;

Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,
De linges odorants et jaunes, de chiffons
De femmes ou d'enfants, de dentelles flétries,
De fichus de grand'mère où sont peints des griffons ;

C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mèches
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches
Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.

Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires.

buffet_meuble

Aah, beau buffet, que caches-tu derrière tes portes opaques ?

Afin de contraster avec le poème précédent qui traitait d'un fait grave et universel, en voilà un qui aborde un sujet pour le moins inhabituel puisqu'il s'agit des vieux buffets. On saluera déjà l'inspiration nécessaire à l'auteur pour tirer autant de vers d'un meuble autrement qu'avec de l'insecticide. Salut qui ne vivra malheureusement pas longtemps quand le lecteur lambda s'apercevra de la pauvreté du message qui donne à penser que si les vieux meubles ont effectivement une âme, elle est restée cachée à ce bon monsieur, et surtout des multiples répétitions (vielles vieilleries, parfums x3, …) qui nous ouvrent les yeux sur le manque de vocabulaire flagrant de cet homme, pourtant reconnu. Mais intéressons-nous de plus près à ses vers. Le grand âge apporte un air très bon aux vieux. C'était peut-être vrai en 1880 mais ça ne l'est, à l'évidence, plus car il n'est pas rare de croiser, au détour d'un hospice ou d'un bateau de croisière, leurs visages aigris par les mille tourments que leur a infligés la vie et dans les yeux la soif perverse d'en faire profiter les jeunes générations, à la manière d'un étudiants humilié pendant son bizutage qui n'attend que la venue de nouvelles générations pour passer du côté du bourreau. Mais peut-être est-ce simplement l'époque qui veut ça et peut-être M. Rimbaud avait-il un regard plus tolérant à l'égard de ces contemporains ? Nul ne le saura.

Par la suite nous apprenons que ledit buffet renferme pleins de chiffons, vieilleries et de femmes ou d'enfants (!). Des enfants dans le buffet ? Monstre ! Encore, dans le congélateur je veux bien, mais dans une armoire faut pas déconner non plus. Avec la putréfaction galopante qui colonise les corps, c'est un coup à attirer toute la vermine du coin (mouches à merde, cloportes, voisins soupçonneux, flics …), j'en ai moi-même fait l'expérience avec mon premier amant alors vous pouvez me croire, c'est vraiment pas une bonne idée. Le mieux reste le formol, si on tient absolument à garder des souvenirs mais là encore je le déconseille étant donné la difficulté de faire disparaître lesdites preuves en cas de descente de flics. Nan, le mieux c'est quand même l'acide, comme aurait dû le savoir ce noob de Arthur. Vraiment, quel incapable !

Mais passons sur les inepties criminelles (bah oui, imaginez qu'un jeune adepte de cette belle discipline qu'est le meurtre de sang froid tombe sur ces écrits. Finir en taule à cause d'un poème, quelle honte) de ce monsieur et continuons notre lecture. On apprend que, selon cet homme, les buffets contiennent plus généralement des mèches de cheveux (qui sont aussi des preuves accablantes, attention les jeunes) que de la vaisselle ou des torchons. Encore un exemple de la nature dépravée de ce bonhomme qui avait besoin de souvenirs pour pouvoir, selon toute vraisemblance, se masturber dessus. Pervers. Honte de la profession. Résidu de crotte de lama. Et estimez-vous heureux, je pèse mes mots.

Le dernier paragraphe s'illustre par cette magnifique phrase « Et tu voudrais conter tes contes » qui est un parfait exemple de la pauvreté du vocabulaire de ce monsieur qui a été infoutu de trouver un synonyme à contes ou à conter alors que c'est pas le bout du monde de placer un malheureux « histoires » ou « souvenirs », mais non, faut croire que c'était trop dur. D'autant plus que aucun des deux ne fini la phrase, il n'y a donc aucune obligation au niveau des rimes. M'enfin, on parle là de Arthur Rimbaud, hein, c'est pas comme s'il était connu pour ses poèmes lui. Raah, arrêtons si vous le voulez bien parce que je m'énerve, je m'énerve, mais à ce rythme, on va y passer la nuit.

La poésie, cette discipline permissive, a vu beaucoup d'aspirants frapper à ses portes, mais peu s'y sont illustrés tant il est difficile pour le commun des mortels de publier, en toute connaissance de cause, de telles fadaises. Elle demande beaucoup d'humilité et un abandon total de son amour-propre dont seuls sont capables certains maitres parmi les poètes, êtres chimériques que leur capacité à baver des merdes plus grosses qu'eux ont fait passer à la postérité. Nous venons de voir quelques unes de leurs œuvres les plus célèbres et l'incrédulité qui en résulte chez le lecteur attentif est le fruit du travail de plusieurs âmes besogneuses, dépensant sans compter leur temps à trouver LA tournure de phrase hasardeuse qui plongera les générations futures dans des abîmes de réflexion. Y a pas à dire, c'est vraiment du travail de pro.

 

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